
Avec Radical, Tom Connan nous raconte l’histoire d’amour de Nicolas, désabusé mais désengagé face à une société défaillante, et Harry, un activiste sur la voie de la radicalisation. Brillant.
L’histoire
Dans une France minée par les fractures sociales, le communautarisme et le rejet des élites, Nicolas, étudiant de gauche à Sciences Po, déteste la France dans laquelle il vit avec son artificialisme, la réussite comme religion et le marketing pour Saint-Esprit. Il rêve d’une révolution sans s’y engager. Il évite à tout prix de faire des choix et de prendre des risques, lui qui vit encore chez sa mère à qui il n’a toujours pas fait son coming-out. Il ne veut pas la blesser, elle que la vie a tant meurtri. Il regarde alors les autres agir en maintenant une certaine distance pour éviter de s’entacher.
Un soir, alors qu’il regarde un classique avec sa mère, il se connecte à Harry sur une application de rencontres. Cet éphèbe d’à peine dix-huit ans l’intrigue et l’attire immédiatement. Tous les deux partagent les mêmes avis, mais leurs points de vue et leurs discours diffèrent. Il sent la fougue et la colère de ce garçon. Cette différence l’ensorcelle. Il est impatient de passer d’une relation URL à IRL, in real life.
La rencontre est prévue pour le lundi suivant. Ce sera le début d’une relation toxique entre Nicolas, tétanisé par la peur d’agir, et Harry, engagé d’abord dans les Gilets jaunes, avant de s’enfoncer dans d’obscurs groupuscules droitistes, fascistes et racistes.
Qui est Tom Connan ?
Tom Connan, né en 1995 à Londres, est un véritable couteau suisse : chanteur, acteur, auteur et même couturier.
Sa carrière artistique débute à 22 ans, pendant ses cours à HEC Paris, avec la parution d’un premier EP qui sera reconnu par la critique en France et dans les pays anglophones.
La même année, il publie sous le pseudonyme Nathan Commons une satire, Le Camp, qui se fonde sur ses années à HEC. L’année suivante, il fait paraître dans la maison d’édition familiale En Marge, un roman sur l’industrie de la mode.
Radical est son troisième roman.
Comment a-t-il fini sur ma table de chevet ?
Une connaissance Instagram m’a envoyé un soir un lien vers une vidéo où Tom Connan présentait son roman. Je n’ai pas pu résister. J’ai sauté sur mon vélo, roulé jusqu’aux Mots à la bouche et l’ai acheté sans réfléchir. Il a ensuite traîné un mois sur ma table de chevet. J’avais peur qu’il ressemble trop à La Réaction de Côme Martin-Karl que je n’ai pas aimé (vous pouvez lire ma critique sur mon compte Instagram).
Finalement, un soir, je me suis dit qu’il fallait me lancer. J’ai plongé. Sans regret.
Ma critique
Le début est virulent. Tom Connan utilise un vocabulaire dur contre la société de consommation et la politique, les fractures sociales, le communautarisme et le rejet des élites qu’ont mis en place les différents politiques. Il réemploie toutes les expressions que l’on a pu entendre de nos politiques ces dernières années et qui se sont figées dans une époque, telles que « pognon de dingue », ou le lexique et les anglicismes des marketeux (dont je fais partie). L’auteur n’y va pas avec le dos de la cuiller. Puis, le roman avançant, le héros se radicalisant lui-même et perdant pied avec la réalité, ces références tendent à disparaître, comme toutes ces fake news (encore un anglicisme !) qui ne reposent plus sur rien.
Dans ce personnage désabusé qui reste à la frange de la société, j’ai lu le style de Houellebecq, qu’il cite deux fois comme un hommage ou une continuation. Dans le contexte et le cadre du roman, on peut aussi aisément reconnaître la trame de Soumission et Sérotonine.
L’intelligence de ce roman, qui manquait selon moi à La Réaction de Côme Martin-Karl, dont le sujet est très proche, est le regard extérieur de gauchiste modéré sur le nationalisme du narrateur qui tend petit à petit à s’intérioriser, jusqu’à devenir lui-même ce qu’il déteste… par amour.
Radical est le roman de la radicalisation de ces deux personnages différents dans leur action. Il y a l’engagé qui se prend dans un engrenage ; et celui qui n’agit pas, mais ne stoppe pas non plus la machine qui l’emporte.
J’ai beaucoup aimé ce roman. J’ai trouvé les premières pages complètement dingues. Elles se présentent comme un roman à clés qui vous envoie des dizaines de références et vous laisse les prendre ou les laisser. Parce que je les ai comprises, j’ai adoré leur lecture, mais ne me serais-je pas senti con si je ne les avais pas repérées ? Le milieu du roman, quant à lui, m’a paru un peu surréaliste et manquant de crédibilité. Sans pour autant m’ennuyer, les cent dernières pages m’ont légèrement lassé. Enfin les dix dernières pages m’ont un peu déçu. Mais la fin pouvait-elle être différente ?
Je ne suis pas sûr que ce roman survive à la décennie. Ou même qu’il soit encore compris dans cinq ans. C’est le risque de proposer un roman inscrit dans son temps.
Devez-vous lire ce livre ?
Vous êtes fan de Houellebecq ? Allez-y ! Je pense que Tom Connan en est un excellent successeur. Vous détestez les romans politiques ? Fuyez pauvres fous.
Citation
« Vous avez vu comment on nous traite ? C’est n’importe quoi ! »
Le gars n’était manifestement pas d’accord avec moi. Tout en continuant à bouffer son assiette de frites, tel un labrador qu’on aurait affamé trois jours durant, il réagit : « C’est normal aussi, vous n’arrêtiez pas de vous embrasser, deux mecs qui se roulent des pelles, ça met les gens mal à l’aise. C’est tout. »
Radical, Tom Connan.
Où le trouver ?
En bibliothèque ou librairie, neuf ou d’occasion, numérique ou papier, avec les informations suivantes : Radical, Tom Connan, Albin Michel, 2020.
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