Avec À l’ami qui ne pas sauvé la vie, Hervé Guibert nous fait entrer dans la réalité de la vie avec le sida, en 1988.
L’histoire
Nous sommes en 1990. Hervé Guibert, écrivain qui évolue dans un milieu d’intellectuels, avec notamment Michel Foucault, a le sida. Il le sait depuis quelques mois. Tout comme il sait qu’il lui reste quelques mois avant de mourir. À cette époque-là, la trithérapie n’existait pas encore. La PrEP encore moins. Si vous étiez gay et sexuellement actif, vous saviez que vous auriez le sida. Vous espériez également ne pas l’avoir. Une épée de Damoclès pesait au-dessus de votre tête en somme.
C’est cette époque d’incertitude vénérée et angoissée que nous raconte Hervé Guibert. Ce moment où il voit ses amis préparer leur mort, mourants, puis mourir. Il nous montre comment la maladie était cachée pour les personnes publiques. Mais surtout, il nous fait vivre la maladie de l’intérieur. Les étapes. Les incertitudes. Mais également l’espoir. Parce que l’ami qui ne lui a pas sauvé la vie, c’est bien celui qui lui a fait espérer (et désespérer) des mois durant qu’il guérirait de cette violente maladie.
Qui est Hervé Guibert ?
Hervé Guibert est un écrivain, journaliste, photographe et scénariste français, né en 1955.
Homosexuel, il construit sa vie sentimentale autour de plusieurs hommes, dont trois occupent une place importante dans sa vie et son œuvre : Thierry Jouno, directeur du centre socioculturel des sourds à Vincennes, rencontré en 1976 ; Michel Foucault dont il fait la connaissance en 1977 à la suite de la parution de son premier livre La Mort propagande ; et Vincent M. en 1982, un adolescent d’une quinzaine d’années, qui inspire son roman Fou de Vincent.
À l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie inaugure une trilogie comprenant Le Protocole compassionnel et L’Homme au chapeau rouge.
En janvier 1988, il apprend qu’il est atteint du sida. Très proche de son amant Thierry Jouno – malade également et qui décédera peu après lui en 1992 –, de la compagne de ce dernier, Christine, et de leurs deux enfants, se sachant condamné et sans descendance, il se marie avec Christine l’année suivante ; un mariage d’amour et de raison.
Il tente de se suicider la veille de ses 36 ans en absorbant de la digitaline. Il meurt deux semaines plus tard, le 27 décembre 1991, des suites de cet empoisonnement.
Comment ce livre a atterri sur ma table de chevet ?
Il y a plus de dix ans, j’ai écrit un roman mettant en scène deux hommes que j’ai présenté à un éditeur que je ne connaissais. Ce dernier m’a fait la remarque que la présence de ces deux hommes n’apportait rien : l’histoire aurait été la même avec un homme et une femme. Il m’a donc conseillé de regarder du côté d’Hervé Guibert et de Tricks, de Renaud Camus, pour voir ce qu’est un livre gay. Jeune, je n’ai pas répondu. Mais aujourd’hui, j’aurais eu des choses à lui répondre concernant le besoin de normalisation, justement.
Bref, j’ai donc lu ce livre en premier et j’ai été… gêné. J’en avais marre qu’un roman gay soit forcément un roman sur le sida, de montrer le côté obscur et déprimant de cette partie de notre histoire.
Parce qu’en trois ans d’existence, je n’avais jamais présenté dans la LGBThèque de livre d’Hervé Guibert, grand ponte de notre culture gay, j’ai décidé de me replonger dans À l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie. Et j’ai eu raison, ma vision du livre a totalement changé.
Mon avis
Ce livre est important. Il montre la réalité d’une époque, non comme un reportage, mais comme une immersion dans les connaissances que nous en avions. Avec l’histoire de sa propre vie et de celle de son entourage, Hervé Guibert nous montre comment chacun gère cette maladie que personne ne veut voir – ni les autorités ni les principales victimes.
Malgré le sujet lourd et grave, j’ai trouvé de la vivacité et même du suspense. Tout au long du récit, je me suis interrogé sur cet ami qui ne lui a pas sauvé la vie : va-t-il le sauver ? veut-il le sauver ?
En quelques pages à peine, j’ai trouvé une époque que je n’ai jamais connue et qui pourtant, en 2022, résonne énormément avec ce que nous avons pu vivre avec le Covid, puis la variole du singe. Les interrogations, les colères contre l’organisation ou la désorganisation du système de santé, les allers-retours incessants entre les services hospitaliers, laboratoires, médecins… un enfer procéduré.
Le sentiment de meurtrier qui étreint chaque personne atteinte est également prégnant partout. Et ceux qui en réchappent paraissent presque louches. Presque condescendant, à l’image de ce Bill qui se présente comme le héros, se déplace de misère en misère pour finalement se sentir mieux – dirait-on.
Un livre simple, complexe et dur à la fois. Magistral.
Devez-vous lire ce roman ?
Oui. C’est un classique gay qui déborde au-delà de la communauté. Il ne montre pas, ne démontre pas, il fait vivre le sida. Essentiel.
Citation
J’ai eu le sida pendant trois mois. Plus exactement, j’ai cru pendant trois mois que j’étais condamné par cette maladie mortelle qu’on appelle le sida. Or je ne me faisais pas d’idées, j’étais réellement atteint, le test qui s’était avéré positif en témoignait, ainsi que des analyses qui avaient démontré que mon sang amorçait un processus de faillite. Mais, au bout de trois mois, un hasard extraordinaire me fit croire, et me donna quasiment l’assurance que je pourrais échapper à cette maladie que tout le monde donnait encore pour incurable.
À l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie, Hervé Guibert

Où le trouver ?
En bibliothèque ou librairie, neuf ou d’occasion, numérique ou papier, avec les informations suivantes : À l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie, Hervé Guibert, Éditions Gallimard, 1990.
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Il s’agit d’un très beau bouquin, vraiment remarquablement bien écrit.
Matooblog
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