Avec La Confusion des sentiments, paru en 1927, Stefan Zweig propose une nouvelle moderne qui ne psychiatrise pas l’homosexualité. Douce nouvelle où se mêle amour et passion.
L’histoire
À soixante ans, le professeur Roland de D. se remémore la rencontre qui a changé sa vie. En effet, pour sa trentième année dans l’enseignement universitaire, ses collègues et étudiants ont établi une longue publication retraçant toutes les réussites de ce professeur. Celle-ci se présente comme une biographie. Mais elle lui semble incomplète. En effet, comment retracer sa vie professorale sans évoquer la rencontre qui l’a lancé sur cette voie ? Or ce livre qu’on lui a offert ignore tout du plus intime secret de son éveil à la vie intellectuelle. Et pour cause, il n’en a jamais parlé à personne.
Alors, en presque 130 pages, Roland de D. va nous partager l’origine de son parcours qui démarre à 19 ans. Ses premiers errements à Berlin où il va enchaîner les soirées alcoolisées et les rencontres d’un soir avec toutes ses berlinoises. Puis ses études dans une petite ville universitaire allemande où il rencontrera ce professeur, qu’il appellera maître, et qui lui partagera sa passion pour la littérature… mais pas seulement.
Qui est Stefan Zweig ?
Né en 1881 à Vienne, en Autriche-Hongrie, et mort en 1942, Stephan Zweig est un écrivain, dramaturge, journaliste et biographe autrichien. Ami de Sigmund Freud, Arthur Schnitzler, Romain Rolland, Richard Strauss et Émile Verhaeren, il fait partie de l’intelligentsia juive viennoise, avant de fuir son pays natal en 1934 en raison de la montée du nazisme. Réfugié à Londres, il y a poursuit une carrière de biographe, et surtout d’auteur de romans et de nouvelles.
Comment est-il arrivé sur ma table de chevet ?
En furetage dans ma bibliothèque municipale, je cherchais un autre livre de Stefan Zweig qui ne se trouvait hélas pas sur les rayonnages. J’ai néanmoins jeté un œil à la quatrième de couverture de celui-ci et été immédiatement happé. Gay ? Pas gay ? Un tel sujet proposé par un si grand auteur ? J’ai été avalé par l’idée. Je l’ai emprunté.
Mon avis
Véritable récit gay avant l’heure, cette nouvelle est d’une telle modernité ! On découvre ce maître à travers les yeux de son étudiant. Il est passionné quand il évoque la littérature anglaise, notamment Shakespeare, mais presque en dépression quand on ne le regarde pas ou qu’il travaille sur des sujets qui l’intéressent moins. Régulièrement, il disparaît quelques jours et revient comme s’il ne s’était rien passé. Ses étudiants et sa femme sont habitués à ces fuites. En tant que lecteur, on se dit que c’est le comportement habituel d’un dépressif, avec ses phases ascendantes, descendantes et ses pulsions qui le font fuir pour mieux revenir. Mais le jeune Rolland ne sait rien de cette maladie. Surtout, il est fasciné par ce maître qui lui partage sa passion. Petit à petit, le récit se révèle et le comportement du maître nous apparaît évident : il est gay.
Nous sommes au début du vingtième siècle. Ce récit sort presque en même temps que Sodome et Gomohrre de Marcel Proust, quatrième tome de La Recherche. Mais le traitement de l’homosexualité est bien différent de la version française. Chez Proust, les invertis sont des hommes inversés, presque des animaux qui se laissent aller à leurs pulsions primaires. Chez Zweig, l’homosexualité est montrée sans avis préconçu, sans jugement, mais avec beaucoup de compassion… et de passion.
Pour l’époque, je me serais attendu à du cryptogay, comme dans Les Faux-Monnayeurs d’André Gide. On sait, mais on ne dit pas. Ici, non seulement l’homosexualité est dite, mais elle n’est pas montrée comme quelque chose de sale. Le professeur ne trahit personne. C’est lui la victime de l’oppression sociale qui lui impose de se cacher et de vivre sa sexualité à la marge de la société. Marge qui va le mettre dans des situations pouvant mettre en péril sa vie…
Le meilleur de cette nouvelle est sans nulle doute pour moi les derniers mots que je ne révèlerai pas, pour ne rien vous spoiler. Mais ceux-ci montrent la modernité de cette nouvelle qui n’empêchera malheureusement pas toutes les atrocités vécues par les homosexuels moins de vingt ans après sa parution.
Devez-vous lire cette nouvelle ?
Oui. Même sans lire cette nouvelle avec le prisme de l’Histoire, ce texte est magnifique. Presque un Mort à Venise poétique et sans divagation. Si vous êtes fan de littérature générale, lisez-le !
Citation
Aucune souffrance n’est plus sacrée que celle qui par pudeur n’ose pas se manifester.
La Confusion des sentiments, Stephan Zweig

Où le trouver ?
En bibliothèque ou librairie, neuf ou d’occasion, numérique ou papier, avec les informations suivantes : La Confusion des sentiments, Stefan Zweig, Robert Laffont, 2019.