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Le Derviche amoureux : l’homophilie orientale au XIXe siècle

Avec Le Derviche amoureux, Laurent Baudoin nous plonge dans la réalité de l’homophilie orientale au XIXe siècle. Une histoire intéressante, mais aussi capitale pour appréhender l’homosexualité moderne.

L’histoire

Le récit raconte le voyage de l’anglais James Silk Buckingham en Mésopotamie et en Perse. Un jour, alors qu’il se prépare à un nouveau voyage, il fait la rencontre d’Ismaël, un derviche – une personne qui suit la voie ascétique soufie, requérant l’acceptation du dénuement comme voie de recherche spirituelle, ainsi que le choix d’une pauvreté et d’une austérité extrême. Celui-ci se propose d’être son guide. Cette proposition soudaine ressemble davantage à un piège qu’à une innocente proposition. Mais rassuré par ses proches qui connaissent bien le jeune homme, Buckingham accepte la proposition.

Leur voyage commence. En sortant de la ville, le derviche Ismaël rencontre un vieil homme qu’il embrasse intensément. Tous les deux sont émus de se séparer. Buckingham pense tout d’abord qu’il s’agit de son père. Mais quand il pose la question à son compagnon de voyage, celui-ci lui explique qu’il s’agit du père de la personne qu’il aime. Buckingham pense évidemment qu’il s’agit d’une femme – nous sommes en 1829 après tout. Mais, plus tard, le derviche le contredit : il est tombé amoureux d’un homme.  

Le récit suit alors la trajectoire de cet homme étrange, Ismaël, qui ouvrira les yeux de Buckingham sur un monde qu’il n’imaginait pas : l’homophilie orientale. C’est le moment pour les deux hommes de confronter deux visions différentes sur l’amour. Et c’est celui qui est censé ouvrir les yeux à l’autre, le noble anglais, qui va se retrouver à remettre en question sa vision du monde limitée.

Qui est Laurent Baudoin ?

Laurent Baudoin, né en 1954, est diplômé de Sciences Po Paris. Dans ses recherches, il s’intéresse particulièrement à l’histoire des relations culturelles entre l’Orient et l’Occident. On peut retrouver l’objet de ses études dans À l’est d’Eros – L’homo-érotisme arabo-musulman à travers les récits de voyage occidentaux (XVIe-XIXe siècle), paru en 2017 chez Textes gais et dans Les dires des nuages qui pleurent paru en 2019 aux éditions Unicité. Le Derviche amoureux forme une trilogie avec ces deux premiers ouvrages.

Comment a-t-il fini sur ma table de chevet ?

Laurent Baudoin était l’invité d’une émission spéciale littérature du podcast Homomicro, enregistré à la librairie Les Mots à la bouche. Pour préparer une chronique sur ce livre, j’ai dû lire l’ouvrage. Quand j’ai découvert le livre, je n’étais pas emballé : il s’agit d’extrait de voyage (j’aime principalement les romans), écrit au XIXe siècle, il se présentait pour moi comme un classique (je déteste les classiques) et enfin savoir que ce livre s’inscrivait dans une trilogie m’a inquiété (je n’avais pas envie de lire les deux autres en plus). N’ayant pas le choix, j’ai ouvert la première page à reculons.

Mon avis

Magré mes premières réticences, je me suis plongé dans la lecture de ce livre avec plaisir. J’ai beaucoup aimé l’aura du derviche, qui m’a fait penser au Candide de Voltaire : son regard posé sur le monde, son absence de jugement et l’étonnement quand il découvre que d’autres imposent le leur.  

Selon moi l’intérêt du livre réside dans l’historicisation de l’homosexualité (terme bien sûr anachronique). En se demandant si c’est normal pour un homme d’aimer un autre homme, Buckingham réfléchit sur le genre de l’amour et les amours homosexuelles à travers le temps, en partant de la Grèce antique. Or savoir d’où l’on vient me paraît extrêmement important. Tout d’abord pour prendre conscience que les acquis ne sont pas éternels : du jour au lendemain, l’homophobie peut prendre le dessus sur l’acceptation, quand le dominant impose sa façon de penser aux vaincus. Sujet hautement d’actualité quand on regarde ce qu’il se passe aux portes de l’Europe ou même chez nous, avec les LGBTphobies qui frappent par vagues contre les digues de l’acceptation : agressions homophobes, débats stériles sur l’entrée du pronom iel dans le Robert en ligne, etc.

Connaître l’histoire de l’homosexualité permet aussi de se rassurer, de comprendre que l’homophobie est une construction sociale. Attention néanmoins à ne pas commettre de raccourcis : certes, des hommes pouvaient coucher avec d’autres hommes dans la Grèce antique, par exemple, mais il ne s’agissait pas de couple gay à proprement parler. La culture gay est une culture. Qu’on l’embrasse ou la rejette, elle existe. Le terme “homosexuel” n’apparaît qu’à la fin du XIXe siècle, après Buckingham qui meurt en 1855.  Néanmoins, le savoir qu’apporte Laurent Baudoin à travers Buckingham se présente comme une arme dont on peut s’équiper face aux attaques du type : “ce n’est pas naturel”, “c’est une passade”, etc. Comme on peut le lire dans Le Derviche amoureux, l’homosexualité n’est pas une mode récente apparue ex nihilo

L’autre intérêt du livre réside dans les magnifiques illustrations de Rachid Boukharta. Ses planches coloriées, aux traits minimalistes et fins, viennent éclairer le livre. 

Enfin, au-delà d’une simple compilation des textes de Buckingham, le livre se clôt sur une analyse de Laurent Baudoin sur le texte que nous venons de lire. C’est brillant, léger et intéressant.  

Devez-vous lire ce livre ?

Oui. C’est le livre à lire absolument et à faire découvrir au plus grand nombre, homo ou hétéro. Comme pour Buckingham en son temps, il remet la vision sur l’homosexualité en perspective.

Citation

Buckingham n’est pas un voyageur ordinaire. D’esprit ouvert et libéral, il saisit toute occasion de s’enrichir humainement et intellectuellement. Certes, comme la plupart des voyageurs de son temps, il signale que, pour lui, “rapporter les “indicibles” modes de vie de l’Orient débauché était un “devoir””. Cette révélation des bizarreries de la nature humaine – l’extravagance orientale souvent évoquée par les orientalistes pour expliquer, non sans paternalisme et à peu de frais, ce qu’ils peinent à comprendre – sert à renforcer l’idée convenue d’une infériorité de l’Orient arabo-musulman par rapport à l’Europe chrétienne. Mais chez Buckingham elle permet aussi, et peut-être surtout, de satisfaire une curiosité naturelle, au point de susciter en lui une poussée émotionnelle qu’il dissimule sous un masque de froide indifférence.

Le Derviche amoureux, Laurent Baudoin
Couverture « Le Derviche amoureux » de Laurent Baudoin

Où le trouver ?

En bibliothèque ou librairie, neuf ou d’occasion, numérique ou papier, avec les informations suivantes : Le Derviche amoureux, Laurent Baudoin, éditions Unicité, 2021.

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« Tuer le bon gay » d'Étienne Bompais-Pham, Prix du roman gay 2021 / Premier roman
About author

Étienne Bompais-Pham est l'auteur du roman Tuer le bon gay, paru aux Éditions Maïa et Prix du roman gay 2021, catégorie Premier roman. Il est également critique de romans gay pour la LGBThèque, mais aussi pour le podcast Homomicro et la revue littéraire L'Autre Rive.
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