Dans Changer : méthode, Édouard Louis revient aux sources de ses métamorphoses, de gars du nord mal dans sa peau à l’auteur à succès d’En finir avec Eddy Bellegueule.
L’histoire
Édouard Louis a toujours été mal dans sa peau. Homosexuel, il est né dans un milieu où la différence est un problème : un village picard. Avant même qu’il comprenne ce que signifie être homosexuel, il était catalogué comme le pédé.
Alors rapidement il se donne une mission : fuir. Échapper à la seule perspective d’avenir de son village : l’usine. Nombreux sont ceux qui sont parvenus à partir. Tous sont revenus. Les études sont le seul moyen qu’il trouve pour s’en sortir. Le théâtre lui permet de franchir la première étape : aller au lycée à Amiens. Là, il fait la connaissance d’Elena. Cette fille vit la vie qu’il aurait aimé avoir : culture, argent, éducation, savoir-vivre. Quand elle lui ouvre la porte de chez elle, où il s’installe pratiquement, une chance se présente à lui : changer, pour s’assimiler… et ne plus jamais revenir d’où il vient.
Changer : méthode raconte comment le petit garçon du Nord est devenu l’auteur du succès littéraire En finir avec Eddy Bellegueule, de rencontre en rencontre de personne de milieux sociaux supérieurs à lui dont il fera les Pygmalions de son existence.
Qui est Édouard Louis ?
Édouard Louis, né Eddy Bellegueule en 1992, est un écrivain et traducteur français. Il grandit dans le village d’Hallencourt (Somme) jusqu’à son internat à Amiens, en classe de seconde, où il fait partie de la section théâtre. En 2011, il rejoint Paris pour préparer le diplôme de l’École normale supérieure.
En 2013, il change d’état civil. Son prénom devient Édouard, la « version longue » de son vrai prénom Eddy. Son nouveau nom Louis est un hommage au personnage principal de la pièce de Jean-Luc Lagarce : Juste la fin du monde.
En 2013, il publie son premier roman à très forte dimension autobiographique : En finir avec Eddy Bellegueule. Celui-ci fait beaucoup parler de lui dans les médias et est traduit dans une vingtaine de langues. Il fait l’objet de nombreuses polémiques, notamment sur la manière dont il présente sa famille et son milieu social d’origine. Changer : méthode s’inscrit dans la veine de ce premier roman.
Son travail suivant portera davantage sur des questions sociales, avec Qui a tué mon père en 2018 où il revient sur sa relation avec son père, les séquelles d’un accident de travail et son rapport au Front national.
Qui a tué mon père et En finir avec Eddy Bellegueule sont adaptés en série par le réalisateur de Call Me By Your Name, Luca Guadagnino : The End of Eddy.
Comment a-t-il fini sur ma table de chevet ?
J’ai adoré En finir avec Eddy Bellegueule. Histoire de la violence qui narre un viol qu’il a subi m’a interloqué, sans m’emporter entièrement. Les romans suivants, trop sociaux et politiques sur ses parents et son milieu d’origine, ne m’ont pas intéressé. Quand j’ai entendu son interview sur France Inter, son personnage presque ingrat envers son milieu d’origine m’a énervé. J’ai détesté Édouard Louis. Alors, forcément, j’ai voulu le lire…
Mon avis
Et j’ai bien fait. Je me suis vraiment reconnu en Édouard Louis. Son sentiment de non-appartenance à la famille dans laquelle on grandit. L’impression de tout mal faire, alors même que l’on voit bien que c’est son monde qui est dysfonctionnel. Le besoin de revanche envers son milieu social. L’obsession de la réussite pour prouver à ceux qui nous ont rejetés quand on était jeune que l’on est meilleur qu’eux.
Dans Changer : méthode, Édouard Louis est honnête… envers lui-même. Mais de nombreuses choses m’ont gêné – ou interloqué. Devait-il sortir ce livre à tout juste 29 ans ? N’est-il pas trop près de sa jeunesse pour pouvoir retirer le voile de sa propre mauvaise foi ? Quand il écrit qu’il était honnête avec un vieil homme qui donnait tout pour lui, par exemple, ne cherche-t-il pas à rejeter des soupçons d’abus ou de profiteur ?
Au-delà de l’histoire, le style m’a beaucoup fait penser au Journal sexuel d’un garçon d’aujourd’hui d’Arthur Dreyfus. Certains mécanismes d’écriture se font écho, comme les notes de bas de page versus les notes de relecture entre crochets chez Arthur Dreyfus. Quand chez ce dernier ils viennent apporter un regard rétrospectif de l’Arthur relecteur sur l’Arthur qui se livre, ici les notes d’Édouard Louis viennent contrer des reproches ultérieurs que pourraient formuler un mauvais lecteur (« dans mon premier livre j’ai raconté comment j’avais tout fait pour ne pas fuir, pour ne pas être différent. Les deux histoires sont vraies, simplement elles racontent les deux faces d’un même phénomène, d’une même vie ») ou expliquer les mécanismes stylistiques, quand il explique que par simplicité il a attribué à Elena une scène qu’il a vécue avec un autre ami. Cette dernière note m’a fait sortir du roman : Édouard me ment, me dit qu’il ment et veut que je continue à prendre ses vessies pour des lanternes.
Enfin, le personnage d’Édouard Louis m’a quelque peu irrité : son insatisfaction permanente, son besoin de vengeance et cette rage qu’il ne cherche jamais à calmer – au contraire, il la nourrit. La recherche même de Pygmalion, d’être quelqu’un qu’il n’est pas m’a attristé. La fin est presque déceptive, car j’attendais une sortie par le haut de ce jeune homme en profonde dépression.
Hormis ces trois points qui révèlent la jeunesse et le manque de confiance de cet auteur confirmé, j’ai beaucoup aimé ce livre. J’ai reconnu ma rage de réussir. Ce besoin d’en faire deux fois plus que les autres. D’en savoir plus que les autres.
J’attends maintenant son livre sur la méthode pour apprendre à se satisfaire de ce qu’on est, et à s’aimer tel que l’on est. Car, en somme, Édouard Louis n’est jamais que la créature de Pygmalions qu’il s’est lui-même choisis.
Devez-vous lire cette autobiographie ?
Oui. Changer : méthode est un très bel objet littéraire. Soit il vous embarquera, soit vous le détesterez. Comme En finir avec Eddy Bellegueule, c’est certain, il ne vous laissera pas de marbre. En un mot : magistral.
Citation
La vérité c’est que le théâtre a été étonnamment facile pour moi. Je crois que c’est parce que je savais jouer un rôle. J’avais appris à le faire malgré moi depuis ma naissance, j’avais joué des rôles pour essayer de cacher qui j’étais, pour me protéger. J’avais essayé depuis ma naissance de cacher mon désir pour les garçons, je m’étais acharné à être plus masculin, à correspondre aux images les plus caricaturales de la masculinité, apprendre les noms des joueurs de football par cœur, aller boire des bières dans l’arrêt de bus du village le soir avec d’autres garçons, jusqu’au milieu de la nuit, prétendre m’intéresser aux filles, j’avais fait tout ça pour que les coups et les insultes cessent à l’école, pour atténuer le plus possible la présence de l’insulte dans ma vie.
Changer : méthode, Édouard Louis

Où le trouver ?
En bibliothèque ou librairie, neuf ou d’occasion, numérique ou papier, avec les informations suivantes : Changer : méthode, Seuil, 2021.
On en parle ailleurs
Comme les deux précédents romans d’Edouard Louis (Qui a tué mon père et Histoire de la violence), je ressors très dubitative de cette lecture. A la fois choquée par les nombreuses insultes qu’il a dû subir dans son enfance, impressionnée par le travail colossal fourni pour réussir sa transformation mais aussi interrogative quant à son éternelle insatisfaction.
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